Parole d’un prof, parole de Thierryb !
Suite à l’article sur les profs, le débat devient intéressant. Voici le commentaire de Thierryb que je me permets de transformer en article :
Je me permets rapidement de répondre à ces remarques, mais je peux oublier des choses, je fais ça pendant ma pause (ça nous mène loin de la rue Fontaine, quoi que…)
@Revolution93,
Je vois que vous n’êtes pas caricaturale finalement 😉
Pour tout vous dire, moi aussi j’ai été surpris par la très forte présence à ST Denis de militants d’extrême gauche dans l’enseignement, c’est une question de tradition historique ici.
Ils sont tout de même peu nombreux (très bien organisés!) et puis j’ai appris à les connaître : la plupart se sentent vraiment très concernés par les élèves et entre nous, certains combats (rénovation des lycées, nombre d’adultes encadrant, etc) sont bien nécessaires, surtout ici.
Mais vous savez, chez les jeunes enseignants il y en a de plus en plus à droite, ça équilibre.
@Lola,
Le mérite existe déjà , il est même de plus en plus lié aux rapports d’inspection et à la note pédagogique du proviseur.
Entre un prof qui avance à l’ancienneté et un prof qui est noté au max. il y a en fin de carrière une différence de revenu total perçu qui se compte en dizaines de milliers d’euros.
Mais l’argent n’est pas un moteur habituel chez nous (d’ailleurs on a perdu presque 25% de niveau de vie par rapport à 1985 en début de carrière) c’est plutôt le goût, le plaisir, les résultats, la reconnaissance (qui est en train de baisser).
@Thomas,
Tu ( cher collègue) donnes une vision un tantinet pessimiste, non ?
Si tu bosses les séquences pédagogiques, en tenant compte des programmes et de tes goûts, il y a plein de travaux passionnants à faire faire aux élèves qui ne demandent que ça, d’ailleurs – je sais, pas tout !!- car le pire service à leur rendre c’est de ne pas faire de cours où il y a à comprendre.
Sinon, pour résumer ce qui semble arriver de grave ou de difficile :
– Depuis 1947, il y avait des écoles normales pour former les enseignants du primaire, les 6 ENNA pour ceux des lycées pro (LP) et un 3è système, pas terrible, le CPR (un conseiller pédagogique ) pour les collèges et lycées (certifiés et agrégés).
Dans les ENNA ont été inventées beaucoup des nouvelles méthodes (pédagogie par objectifs, de projet, inductive, etc) qui ont permis la démocratisation de l’école aux enfants de milieux populaires. Cela a déjà rénové le vieil enseignement magistral qui concerne toujours une minorité d’élèves qui sont en connivence culturelle avec leurs enseignants (centre ville et prépas) et qui est impossible à forte dose dans le technique.
– En 1992 les IUFM sont nés : là où il y avait déjà des formateurs de terrain, et connaissant très bien la didactique de leur discipline (en primaire et en LP, donc) les iufm ont plutôt bien fonctionné, les nouveaux profs faisant une année à cheval entre 8h en classe et 10 h à apprendre à enseigner leur discipline.
Le défaut des IUFM, qui voulaient professionnaliser (c’est bien), a été de recruter parfois des universitaires qui faisaient de la théorie des sciences de l’éducation, ce qui est très utile mais pas suffisant. Du coup il y a eu des caricatures.
Les gens qui pensent qu’enseigner n’est pas un métier qui s’apprend ont commencé à caricaturer et les IUFM ont perdu de leur crédit. De plus, les universitaires ont repris le pouvoir et maintenant ce seront les universités qui dirigeront les futurs instituts de formation. Le problème c’est que ceux-ci risquent de devenir des coquilles vides car le gouvernement, pour appliquer les directives européennes, a créé la mastérisation (pas forcément une mauvaise idée, tout dépend de l’application concrète) :
bac+4 on prépare un master1 avec un stage d’observation dans une classe
bac+5 on devra, pour devenir prof, passer l’écrit d’un concours (où aura disparu l’épreuve de didactique, le seule professionnalisante), puis enseigner (en tant qu’étudiant, donc mal payé et avec un problème de hiérarchie et de responsabilité, et sans formation préalable) 108 heures, puis passer l’oral du même concours (si on est admissible!) puis terminer en juin le master2. C’est du jamais fait, jamais vu et tout le monde dans l’éducation (il ne s’agit pas de bord politique, là ) est effaré par ce qui va être demandé aux étudiants.
Ensuite, l’année suivante : ceux qui ont réussi le concours et le master (très peu nombreux, il y a bcp moins de postes) iront devant élèves et rien n’est prévu encore pour les former alors qu’ils seront responsables des élèves ! Que deviendront ceux qui veulent faire de la recherche ?
Ceux qui auront le master mais pas le concours seront…recrutés ! Et mis devant élèves à un salaire indexé sur le smic, sans statut et seront automatiquement de plus en plus nombreux, le but avoué étant probablement d’aller vers beaucoup moins voire la fin du service public d’éducation, en tout cas c’est ce qui s’est passé en Suède (ils cherchent à revenir en arrière tellement le niveau a baissé) et en Italie.
Précarisation, donc et danger de profs moins stables, moins formés, donc moins bons ! On ne le sait pas, mais dans certains établissements le taux de profs qui n’en sont pas vraiment (vacataires étudiants recrutés sur entretien et peu ou pas formés) frôle les 30 à 40%!
On diminue le temps de cours des élèves (en LP bac en 3 ans au lieu de 4 avec des élèves qui demandent pourtant beaucoup de travail car en grande difficulté)
On casse la carte scolaire et se créent des ghettos sociaux.
On encourage la séparation des classes sociales.
Alors certes les profs ont la sécurité de l’emploi, mais acquise par un concours hyper sélectif (3000 candidats pour 120 postes en France dans ma matière) et puis le quotidien de la plupart d’entre eux, c’est une intense fatigue nerveuse, on prépare et corrige beaucoup, et devant les élèves ça peut-être épuisant. Je rappelle aussi que nous sommes présents beaucoup plus que nos 18 h de cours : comme partout, les réunions et rencontres se multiplient.
Le privé n’est pas forcément un concurrent (à part quand il se débarrasse des élèves un peu faibles vers le public pour garder un taux de réussite élevé) et ils rencontrent les mêmes soucis, dans le « 9-3 » en tout cas-je ne parle pas de Neuilly, of course.
Voilà , c’est rébarbatif, j’ai juste esquissé un tableau rapide des soucis. Mais ça reste un métier magnifique quand on aime ça!
Quant à la question de « faciliter l’apprentissage des classes défavorisées », c’est d’actualité depuis Jules Ferry! Le seul point c’est qu’il faut des méthodes innovantes et en ce moment, ce n’est vraiment plus à la mode…ça l’a été entre 1960 et 1990, ça reviendra.
Il y a des bibliothèques entières à lire…
Thierryb
Et beh merci Thierry…j’ai appris tout plein de choses. Thomas t’as trouvé un coach 😉
Sam
Oui, cette année de transition des concours de l’enseignement= préparation au concours+stage d’observation+stage en situation accompagné (deux stages non rémunéré et non obligatoire, c’est clairement pour faire des économies avec la carotte d’être payé l’année comme un titulaire, à ce qui se dit)
Cela s’est décidé dans la foulée, en catimini, même les formateurs IUFM ne l’ont su que récemment.
Il se dit que les concours à l’enseignement sont menaçés et que les chefs d’établissements recruteraient les futurs enseignants tels des chefs d’entreprises.
Il y a eu beaucoup de formateurs m’a-t-on dit qui avaient crié au loup, mais qui n’ont pas pu mobiliser parce que pas grand monde y croyait. Résultat, c’est en plein dedans!
J’ai relu à plusieurs reprises ton post car je le trouve vraiment intéressant. Bon il y a des passages où je décroche mais en tout cas on sent bien une grande passion.
Je poserai des questions à mon retour du WE Mr le professeur ! 😉
En tout cas merci pour le blog, car un échange de cette qualité…fait nécessairement la qualité de ce support.
Biz
Je ne suis pas pessimiste, je tente juste de comprendre ce qui est en train de se passer dans mon petit huit clos qu’est mon établissement et qui, je le pense, est un concentré de ce qui est en train de se passer au niveau national :
– Pouvoir de plus en plus grand du chef d’établissement,
– Emplois précaires au sein du corps enseignant,
– Volonté de diplômer une majorité d’élèves, quitte à leur donner l’examen, etc.
Ce qui ne m’empêche pas d’adorer mon métier, d’y croire et de m’éclater avec mes élèves sur des sujets qui me passionnent.
Je suis prof’ d’arts graphiques, alors en matière de créativité et d’innovation, j’ai pas fini d’en faire le tour…
Même si je ne pense pas qu’il y ait eu un âge d’or de l’éducation, je pense que nous vivons et que nous allons vivre une période très douloureuse. Pour les profs, c’est une chose, mais surtout pour les promotions entières d’élèves à qui j’ai de plus en plus l’impression de mentir quand, du fait de mon seul statut, je leur demande de croire, encore, en notre système.
Cela dit, le thème de l’éducation est un débat de société qui intéresse pas mal d’Internautes qui côtoient ce site. Discuter par commentaires interposés est une bonne chose, mais qui a ses limites. Si certains sont intéressés pour se réunir autour d’un café, au Khédive ou ailleurs, pour débattre de l’avenir du système éducatif, j’en serais…
Salut Thomas,
Excellente proposition. On s’occupe de l’organisation du débat.
Sur l’absence d’âge d’or, c’est vrai, mais on peut tout de même dire qu’il y a un abandon de la perspective « qualité pour tous ». La destruction du système n’est pas inéluctable, ni l’absence de réforme excitante pour tous. D’accord sur le pouvoir accru des chefs d’établissement, mais en même temps, de moins en moins de collègues se syndiquent : les « chefs » prennent la place qu’on leur laisse, même si certains sont vraiment des moteurs pour leur établissement. Quant à la précarisation du métier, et comment !
Je suis pas sûr qu’on « donne » l’examen. Le niveau médian de diplôme en France actuellement est de 50% d’une classe d’âge à bac+3. On est passé de 30% d’une classe d’âge à passer le bac (et 50% l’obtenaient) en 1978 à 80% qui le passent (et , avec les redoublements, 90% qui l’obtiennent), effectivement ça peut donner l’impression qu’on donnerait les diplômes. Or la dévalorisation des diplômes par rapport à l’emploi auquel ils permettent d’accéder est forte dans certaines branches (du tertiaire notamment) : on emploie volontiers un BTS plutôt qu’un bac pro pour certaines tâches. Le niveau global monte.
Je me demande si on ne devrait pas revenir à une discussion autour de Saint-Denis, car Thomas a raison, le sujet est infini et complexe, et vaut mieux en discuter autour d’un café qu’ici— personnellement, je passe ma vie autour de ces problématiques et en faire mon dimanche, …non 😉 , d’autant plus que je contribue assez souvent au forum éducation du Monde (où la bagarre est parfois dure!).
Thierryb
Intellectuellement parlant ça fait du bien pour nous autres de parler d’autres choses … que du quotidien dionysien 😉
Mais oui pour un débat autour d’un café, j’ai des petits gâteaux made in morrocco à partager sans modération 😀
Thierry B a dit:
« Je me demande si on ne devrait pas revenir à une discussion autour de Saint-Denis »,
Je comprends bien qu’il n’est pas besoin de rentrer dans le jargon et les termes techniques de ton métier, Thierry B.
En revanche, l’éducation fait aussi partie des sujets primordiaux de Saint-Denis qui ne peut se couper du reste, au même titre que la propreté, l’environnement, la tranquillité publique, la culture, etc.
Les médias ne parlent pas du tout de ce qui est en train de se passer et qui se met petit à petit en place, et des conséquences que cela aura pour les établissements scolaires.
C’est ce qui commence à se faire aussi avec la Culture au Centre Culturel Pompidou et la Bibliothèque Beaubourg en grève sévère depuis plusieurs jours et qui est reconduite.
Accueillant des milliers et des milliers de personnes du monde entier, chaque jour jusqu’à 22h, sur 254 fonctionnaires, 41 ne seront pas remplaçés. Aux autres, on leur demandera de travailler plus en étant moins.
http://www.bpi.fr/fr/index/mouvemen…
C’était juste pour passer l’info, car il n’y a pas grand bruit sur ce qui est en train de se passer et qui mérite attention.