Territoires d’Olivier Norek ou comment les maires du 93 tiennent leur ville
Avez-vous lu ce livre ?
Olivier Norek, officier de police judiciaire en seine-Saint-Denis, nous propose cette essai “Territoires” (Ed. Michel Lafont). Il décrit un quotidien et une réalité professionnels auxquels il a été confronté.
Afin d’éviter toute poursuite judiciaire entraînant son éditeur et lui même sous le coup de la diffamation, les personnages et lieux de son roman sont donc purement imaginaires.
Evidemment, toute ressemblance avec des personnages ou des faits ayant existé ou susceptibles d’exister est purement fortuite ….. A fortiori, dans notre bonne ville !
Bill
[…] Norek plonge son lecteur dans les affres de la gestion d’une ville de banlieue parisienne, sur fond de banditisme, d’exécutions sommaires, de magouilles politiques, d’émeutes urbaines et de millions d’euros… […] Olivier Norek, lui-même lieutenant de police judiciaire en Seine-Saint-Denis – il est actuellement en disponibilité – a façonné ses personnages en s’inspirant de son vécu. Et c’est là l’une des forces de Territoires : partager avec le lecteur son expérience de terrain et sa passion pour le métier de flic.
« Au début, l’intrigue se passait dans une ville connue du 93. Mais les faits que je décrivais étant trop proches de la réalité. Mon éditeur m’a dit : “C’est bien, tout ce qu’on va gagner avec ton livre va passer dans les frais de justice et d’avocats !” », explique-t-il à Marianne. Le théâtre de ce thriller socio-politique se déroulera donc à Malceny, ville dirigée par « la reine » Vesperini, un personnage trouble capable de s’allier avec les pires caïds pour assoir son pouvoir. […]
Pour composer ce personnage central de son roman, Olivier Norek s’est entretenu avec de nombreux élus de Seine-Saint-Denis qui lui ont rapporté leurs expériences. Troublant.
Marianne : Comment décririez-vous l’intrigue de Territoires ?
Olivier Norek : C’est l’histoire du plus gros casse de France. Un casse qui va nécessiter l’action triple de personnalités politiques, de délinquants et de policiers… L’objectif : que la maire de Malceny, Madame Vesperini, obtienne les centaines de milliers d’euros que lui réclament les caïds qui viennent de récupérer le business de la drogue sur son territoire. […] En suscitant une émeute urbaine… Vesperini sait qu’une émeute coûte énormément d’argent à l’Etat, qu’elle dégrade l’image de la ville et la crédibilité des gens qui la dirige. Elle sait que tout le monde a intérêt à l’éteindre le plus rapidement possible. Et pour cela, il y a un moyen simple : payer ceux qui sont à l’origine de l’émeute avec ce qu’on appelle un « budget d’urgence ». En gros, on arrive avec des sacs remplis de pognons, on leur donne et on leur dit : « Calmez-vous s’il vous plaît ». […]
Rassurez-nous, c’est de la pure fiction ?
La fausse émeute ? Oui, c’est une idée qui m’est venue un jour où je réflechissais à mon intrigue et au sujet que je voulais aborder, à savoir : quel est le prix de la paix sociale ? Voilà à peu près trente ans qu’on ne fait strictement rien pour nos cités, trente ans qu’elles ont une économie souterraine, que les criminels y sont bien installés, qu’ils sont armés. Et voilà trente ans qu’il ne se passe rien. A la limite, une petite émeute tous les deux ans ? Ce n’est pas possible ! Cela signifie bien qu’on achète la paix sociale. En gros, on laisse tranquille les caïds, on les laisse faire leur business et si l’on a besoin d’eux, on les utilise. On peut même les intégrer au staff municipal…
Avant d’écrire, j’ai soumis cette idée d’émeute montée de toute pièce à des élus ou d’anciens élus. Ils m’ont dit que cela leur paraissait crédible. Ils n’étaient pas du tout étonnés par ce scénario, mais précisons quand même qu’ils m’ont dit que cela n’était jamais arrivé, à leur connaissance.
Avant de vous mettre à l’écriture, vous avez donc mené votre propre enquête ?
Absolument. […] j’ai cherché des politiques pour mon boulot d’écrivain. […]
J’ai discuté avec une vingtaine d’élus ou d’anciens responsables du 93, tous bords confondus, à qui je posais une question : « Comment tenez-vous votre ville ? » Et hormis la fausse émeute, tout ce que je relate dans mon livre est véridique.
Par exemple ?
Il y a cette histoire des procurations… Un maire, m’a raconté un jour qu’il avait réussi à avoir un relais important avec un gros caïd d’une cité de la ville où il se portait candidat. Lors d’un rendez-vous organisé par un intermédiaire, il lui explique qu’il va être en ballotage, qu’il lui faut des voix et lui demande donc s’il peut inciter les vieux, les jeunes majeurs, les mamans des quartiers à signer des procurations en échange de quoi il lui promet de nombreux cadeaux. Le gars déploie des nuées de petits moineaux de 18 ans qui parviennent à récupérer un millier de procurations, offrant la victoire à l’homme politique. Six ans plus tard, le maire convoque ce même caïd avec qui il s’est mis à travailler et lui demande de faire la même chose en échange de 10 euros par procuration signées. Le caïd relance sa nuée de moineaux et récupère les 1 000 procuration puis il attend. Une heure avant la fermeture des bureaux, le maire appel son contact pour savoir où cela en est. L’autre lui répond qu’il a récupéré les procurations mais que de 10 euros on est passé à 100 euros par document. Le maire est obligé de se plier à sa demande s’il veut être reconduit et il finit par payer…
Un autre maire m’a dit un jour : « Ma ville commençait à devenir plus calme, les gens ont commencé à s’intéresser à ma politique, à mon programme, c’est là que j’ai eu peur…» Selon son calcul, il était plus intéressant de rester avec 72 % d’abstention plutôt que de voir ses administrés aller aux urnes. Pourquoi ? Parce qu’il est plus facile d’influer sur un scrutin à 12 000 votants que sur un scrutin à 80 000. Il a ajouté : « Mon intérêt à moi, politiquement, c’est de dégoûter les gens de la politique pour qu’ils ne s’y intéressent pas et que je conserve un fort taux d’abstention. »
[…] C’était important pour moi, avec mon expérience, de raconter cet aspect des choses, cette hypocrisie et cette attitude des politiques à l’égard de l’économie souterraine et de la délinquance dans les cités. Vous savez, c’est dur de constater qu’un type qu’on a arrêté une fois, deux fois, trois fois, s’en sort systématiquement et qu’il arrive même, parfois, qu’on le retrouve… en conseil municipal !
Je me suis moi-même retrouvé plusieurs fois à enquêter sur un adjoint au maire qui avait commis une infraction. En consultant son dossier Stic, je découvrais qu’il était connu pour une vingtaine d’infractions. En fin de compte, c’est comme s’il y avait un virus que la ville finit par intégrer dans son écosystème. Elle devient une sorte de malade qui tient comme ça, cahin-caha, mais les problèmes ne sont jamais réglés. C’est juste un mouchoir qu’on met sur nos cités…
* Territoires, d’Olivier Norek, Ed. Michel Lafon, octobre 2014, 394 p.,18,95 €.
Merci Bill
édifiant fiction réelle très envie de lire cet essaie Merci
mais tout cela n’a rien d’étonnant, on s’en doute plus ou moins de leurs magouilles. La paix sociale n’a pas de prix, il faut la préserver et pour cela ils sont prêts a tout. Goldo
Cet article démontre de manière magistrale la mainmise des élus sur un territoire.
Il atteste par la fiction ce que l’on dit depuis des années.
Il vaut mieux avoir un énorme stock d’abstentionnistes et faire du clientélisme avec des personnes susceptible d’influer sur le scrutin.
Rien de nouveau sous le soleil.
Les dindons de la farce sont toujours les mêmes et regardent le train passé sans avoir la possibilité d’y accéder.
Les trafics solidement implantés dans certaines cités depuis des décennies ont une utilité. Ils maintiennent une économie souterraine qui fait vivre des familles et évitent une implosion sociale.
Ceux qui le critiquent finissent par se lasser et s’en vont (c’est mon cas) et cela fait le jeu de ces élus.
Rien sur le fond n’est réglé, bien au contraire. La situation continue à se dégrader. L’équipe municipale botte en touche en désignant la conjoncture économique.
Rien ou presque n’est fait sur le plan local pour améliorer la situation sur le front de l’emploi ou du mieux vivre en général.
A quoi bon ?
Il vaut mieux 70 % d’abstentionnistes et une poignée d’électeurs aux ordres pour avoir l’assurance d’être reconduit dans son fauteuil.
C’est exactement cela et je suis convaincue que malheureusement il
y a “des irréductibles” qui par ” pur angélisme ” croient qu’il n’y a pas de démagogie ni de calcul tacticien !
@gabriella
Alors je dois être un “irréductible”, pas au sens où je dis que ces pratiques honteuses n’existent pas, mais au sens où elle ne devraient pas exister et que la puissance publique, les institutions devraient imposer une transparence à la gestion municipale (et à d’autre échelons).
Le calcul tacticien a toujours existé, il est même la preuve d’une certaine habileté, mais je ne pensais pas qu’en France on en était à jouer avec le moral du pays et sa cohésion à ce point.
En effet, ces élus de banlieue qui pratiqueraient ce que dit cet auteur (s’il dit vrai) encouragent la permanence de l’insécurité et des trafics, et la domination des petites frappes sur l’espace public. ils sont donc en partie responsable, avec l’effet médiatique induit, du développement du dégoût de la politique, certes, mais surtout de la montée du FN ou d’extrémismes, puisque rien ne semble possible aux gouvernants honnêtes. C’est grave.
Thierryb,
A mon avis, cette municipalité n’a pas su prendre les bonnes décisions pour lutter contre la délinquance, la dégradation de la sécurité, l’installation de foyers de drogues un peu partout dans la ville, le problème de la propreté, les logements insalubres, l’installation d’une uniformisation de certains commerces (par exemple rue de la république) et cette ville où la mixité était une valeur réelle a fait fuir une partie des classes moyennes qui s’est dit qu’elle ferait mieux de vivre ailleurs. Je vous cite juste un exemple : il y a quelques années, au moment où l’insécurité à Saint-Denis était à son point “culminant” : Saint-Denis dans les statistiques était en tête pour l’insécurité ( si je me rappelle bien
en ce qui concerne les vols pour les personnes) la mairie disait qu’elle était opposée “au tout sécuritaire” et pourtant lors des élections municipales la vidéo surveillance qu’elle avait refusée auparavant faisait partie des promesses de sa campagne. Je pense que cette municipalité n’a pas su faire les bons choix et
la démagogie et le calcul tacticien consistent à présent à se reposer sur “les irréductibles” ou ceux qui ont intérêt, peut-être parce qu’ils n’ont pas d’autre choix, à ce que rien ne change et faire que la configuration électorale soit la même depuis des années pour rester toujours en place en tenant compte des abstentionnistes et pourquoi alors il y a-t-il autant d’abstentionnistes à Saint-Denis ?
@Thierryb,
Une deuxième lecture de votre commentaire me fait dire que moi aussi j’aimerais que l’on retrouve la confiance en nos élus, et que le paysage politique soit porteur d’un espoir véritable.
@gabriella
merci pour vos lectures (;-)
il y a dix jours que je n’étais pas revenu sur ce site, et je viens de faire une mise à jour de mes lectures : que c’est déprimant de voir autant de gens intelligents et capables d’analyser la situation (puisqu’ils la vivent de l’intérieur, j’ai bien connu çà…) ne presque rien pouvoir changer..! Bon courage.
Je ne pourrais plus vivre là où vous vivez, mais je sens que la patronne (;-) va me taper sur les doigts pour « démoralisation des troupes », alors je me retire (provisoirement, on ne vit pas 25 ans à St Denis sans y garder des fidélités) sur la pointe de pieds…
@ Sam.
tu voulais pas dire “attachiante” plutôt? :-p
Thierryb, Sam
Saint-Denis a un si grand potentiel que, même quand on la quitte, on la garde
dans son cœur, de plus en plus de dionysiens quittent leur ville
quel effroyable constat d’échec! mais ceux qui sont encore là doivent continuer , surtout pas baisser les bras. A l’heure de la mondialisation, les politiques devraient privilégier la mixité sociale, faire appel à la générosité de chacun plutôt qu’à la volonté d’exclure, s’ériger contre l’entre-soi , est-il trop tard ? vœux pieux ?